• REFLEXIONS AUTOUR DE LA DOMINATION DE LOEB.

    Tout a été dit sur Sébastien Loeb, « meilleur pilote de tous les temps » étant le qualificatif le plus courant pour des journalistes en mal d’imagination et de sens critique.

    Il y’a dans cela, quelque chose qui me dérange, c’est le manque de recul, de remise en question, d’analyse au-delà des stats. Les journalistes ne sont jamais à cours d’éloges pour dresser l’hagiographie de Loeb.

    Mais son ultra domination résulte-t-elle de sa supériorité, ou aussi d’un désert de concurrence ?

    Loeb arrive de façon tonitruante en mondial en 2002 en signant deux superbes victoires au Monte-Carlo (retirée sur tapis vert) et au San Remo. En 2003 il s’impose au sein de Citroën face à McRae (qui ne s’est jamais relevé de son pitoyable RAC 2001) et Sainz pour échouer au dernier rallye de la saison face à Solberg. Bien sûr certain vont me dire qu’il avait reçu des consignes pour assurer le titre constructeur. Je n’y crois qu’à moitié. Le titre était déjà assuré par McRae, et comment expliquer que s’il a levé le pied pour assurer, l’écart entre lui et Solberg et les autres n’a cessé d’augmenter au cours du rallye. Loeb et Solberg se sont bel et bien battu jusqu’au bout. De plus je souligne que Loeb n’a pris le dessus sur Solberg au RAC que lorsque Subaru a commencé à rater ses voitures (2005). En 2004, ces deux se sont livrés un duel épique, perdu dans la dernière (vrai) spéciale par Loeb, sur un seul split, confirmant encore une fois qu’à voiture égale, Solberg était supérieur à Loeb au RAC. Pour être encore plus provocateur, je pourrais dire que Loeb n’a jamais gagné face à Solberg dans un duel à la seconde, dont l’enjeu était la victoire.

    En 2004, Loeb a commencé sa domination sur le WRC. Bien installé au sein d’une équipe qui lui était toute dévouée, au budget très confortable, et au volant de la meilleure voiture du plateau, l’Alsacien décrocha le titre sans coup férir.

    Le délitement de la concurrence s’est produit à partir de 2005. Peugeot et Subaru ont raté leurs voitures. Par la suite, les productions Prodrive seront toutes des flops inconduisibles jusqu’au retrait de la marque fin 2009. De ce fait la hargne hors norme, et le talent exceptionnel de Solberg ne pourront pas faire de miracle. A l’impossible, nul n’est tenu.

    Fin 2005, Peugeot se retira. Gronholm trouvera refuge chez Ford quand Martin restera sur le quai. Le WRC perdit alors un sérieux concurrent et un constructeur emblématique. A l’époque Martin donna une interview à Auto Hebdo et analysa avec clairvoyance le tournant que prenait le WRC. Il parla « d’hobby championship » stigmatisant ainsi la présence de pilotes payant et sous entendant que le baquet d’Hirvonen avait été financé par son manger Joukhi. Celui-ci financa également le volant de Latvala.

    Hirvonen ne doit sa place de leader chez Ford qu’aux circonstances. Malcolm Wilson a toujours eu des problèmes budgétaires cycliques. L’enveloppe allouée par Ford n’a cessé de se réduire en parallèle des résultats économiques du constructeur. Wilson a donc dut redoubler d’ingéniosité pour boucler les budgets, nouveaux sponsors, multiplication des voitures clientes gaspillées entre les mains de chauffeurs (le nom de pilote ne pouvant s’appliquer !) fortunés, et réduction de la masse salariale pilote ! Du coup, Malcolm a accueilli à bras ouverts Hirvonen et Latvala, talentueux, mais surtout bien poussés par Timo Joukhi, le faiseur de pilote. Pendant ce temps-là Solberg (découvert par Malcolm) se débattait soit au volant de sa rétive Impreza ou à la tête de sa propre structure. Duval regardait le wrc à la télé et Martin avait tourné la page depuis longtemps…

    De fait, petit à petit la concurrence s’est clairsemée pour se retrouver portion congru avec pour seul concurrent Hirvonen après la retraite de Gronholm en 2008. Et il est une chose à reconnaître, Hirvonen n’est qu’un numéro 2, sans envergure pour pouvoir prétendre à plus. Le pauvre porte sur lui, dans son expression corporelle l’intériorisation qu’il a fait de son infériorité face à Loeb. Il ne l’a jamais vaincu en duel. Il répétait ainsi à longueur d’interview qu’il misait sur une régularité sans faille pour espérer emporter un championnat. Régularité qui lui fera à plusieurs reprises défaut sous la pression ! Les championnats se sont déroulés tous sur le même modèle, lancinant, ennuyeux… Loeb de par son incontestable supériorité technique et l’indigence de la concurrence a ainsi put empiler les titres. Des titres acquis sans réel panache, ni prise de risque, et encore moins de suspens !

    Loeb a éclot en mondial en même temps qu’une belle génération de pilote était sur la pente descendante, Makinen, McRae, Sainz…et même Gronholm dans une certaine mesure. Il a juste eu le temps de prendre la mesure de ses glorieux aînés tout en apprenant beaucoup d’eux. Loeb a souvent souligné la relation qu’il a eu avec Sainz, et combien il a appris de l’espagnol. Les pilotes qui auraient dut se partager les titres des années 2000 avec Loeb, Martin et Solberg (Duval ?) ont connu des fortunes diverses et malheureuses les écartant de toutes velléités. Ce trio était taillé pour donner au WRC de superbes batailles. J’en veux pour preuve les rallyes de 2003-04 quand ils se battaient à coups de secondes. Au lieu de ça, Loeb était en parade commerciale, pour Citroen, Total et RedBull, plus ou moins titillé par Hirvonen. Le talent de l’alsacien mérite assurément mieux.

    Le WRC a ainsi à mon sens énormément perdu de son intérêt. Tout ça manquait de suspens, de panache, de prise de risque. Si Loeb n’a quasiment jamais commis d’erreur de pilote, c’est grâce à sa superbe maîtrise mais également qu’il n’était pas vraiment poussé dans ses retranchements. Lorsqu’il l’a était, par exemple au cours des saisons 2003-2004, et notamment face à Solberg, il s’inclina à chaque fois d’une poignée de seconde, en justifiant qu’il fallait également capitaliser, gérer une avance au championnat…

    J’en arrive au point polémique. Les titres de Loeb ont-ils la même valeur que ceux des Makinen, Gronholm, Burns ou Solberg ? Ma réponse est clairement non !

    Entre 97 et 2004, la victoire finale était bien plus disputée. Au départ de chaque rallye, nombre de pilotes différents pouvaient légitimement ambitionner la victoire : Makinen, Gronholm, McRae, Sainz, Burns, Solberg, Martin… plus des « spécialistes » en fonction des surfaces (terre, asphalte) qui venaient brouiller les cartes du championnat.

    Cet état de fait se traduit par le nombre de vainqueurs différents au cours d’une saison. De 97 à 2004, il n’y a jamais eu moins de 5 vainqueurs différents. Les saisons les plus disputées entre les pilotes candidats aux lauriers ont été entre 99 et 2003.

    De plus, les voitures capables de gagner étaient également beaucoup plus nombreuses. Entre 99 et 2004, cinq voitures se sont partagées les victoires. Le paroxysme de ce constat peut-être fait sur la saison 2001. Au départ du dernier rallye ils étaient encore quatre à pouvoir être titré ! Dix pilotes et cinq voitures différentes se sont partagés les lauriers. Le titre de Burns souvent dévalorisé sous prétexte d’une pénurie de victoire (une seule) et du déroulement du dernier rallye prend à mon sens une autre valeur ; d’autant plus qu’au cours de cette saison il fut souvent esseulé face à la concurrence, battu par des tactiques (Argentine, Grèce…). Mon propos n’est pas de faire de Burns le meilleur pilote, mais de mettre en exergue le fait qu’il a bel et bien remporté le titre suprême au cours de la saison la plus disputée, la plus atomisée également, et pas au volant de la meilleure voiture.

    Je ne dénigre pas Loeb, son talent l’interdit, mais il faut bien reconnaître que ses titres ont été acquis dans un contexte de concurrence amoindrie. Le WRC se résume depuis 2005 à deux voitures, trois ou quatre pilotes pouvant l’emporter, et aucun réel concurrent sérieux. Depuis que Citroën et Ford sont les seuls constructeurs officiels, les pilotes pro se content sur les doigts d’une main : quatre ! De plus, Loeb est protégé au sein de son équipe, avec interdiction pour son co-équipier de l’attaquer ! Au passage faudra un jour expliquer à Monsieur Fréquelin, père de cette politique chez les chevrons, que c’est ainsi qu’on scie la branche du spectacle sur laquelle le WRC est censé vivre ! Derrière les quatre pilotes pro, c’est juste des chauffeurs du dimanche fortunés qui s’offrent une villégiature ! Les Villagra, Block, Wilson, Rautenbach, Al Quassimi et autres sont des blagues, pas des pilotes !

    Pour finir, je dirai que Loeb est à mon sens l’un des plus grands pilotes de rallyes, mais que sa flopée de titres a été acquise en majorité dans un contexte de très pauvre concurrence. Son talent méritait plus, une plus grande concurrence, quitte à laisser quelques titres aux autres. Il m’apparait même comme une « victime » du contexte. Corneille a écrit : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »

    Une note d’espoir. Le retour de grands constructeurs ambitieux, VW et Toyota bientôt, produira un appel d’air. Les baquets pros devraient se multiplier, des jeunes pilotes talentueux pourront éclore, les championnats devraient alors être plus disputés.


    Le WRC de 1997 à 2011.

    année

    champion

    Ecart entre 1er et 2è

    Ecart entre 1er et 3è

    % de victoire du champion (nb victoires)

    Nb de vainqueurs différents

    Nb de voitures gagnantes

    97

    Makinen

    1

    12

    28.57 (4)

    5

    3

    98

    Makinen

    2

    13

    35.71 (5)

    5

    3

    99

    Makinen

    7

    10

    28.57 (4)

    6

    4

    2000

    Gronholm

    5

    9

    28.57 (4)

    6

    4

    01

    Burns

    2

    3 !!!!

    7.14 (1)

    10 !!!!

    5 !!!!

    02

    Gronholm

    40 !!!

    41

    35.74 (5)

    7

    4

    03

    Solberg

    1

    9

    28.57 (4)

    6

    4

    04

    Loeb

    36 !!

    39

    37.5 (6)

    5

    4

    05

    Loeb

    56 !!!!!

    56

    62.5 (10)

    4

    3

    06

    Loeb

    1

    47

    50 (8)

    3

    2

    07

    Loeb

    4

    17

    50 (8)

    3

    2

    08

    Loeb

    19

    57

    73.33 (11)

    3

    2

    09

    Loeb

    1

    29

    58.33 (7)

    3

    2

    10

    Loeb

    105

    107

    61.53 (8)

    4

    2

    11

    Loeb

    8

    26

    38.46 (5)

    4

    2

     

    Entre 97 et 2011, l’attribution des points a changé deux fois. De 97 à 2008 les points étaient distribués ainsi : 10-6-4… de 2008 à 2010 : 10-8-6… depuis 2010 : 25-18-15, plus attribution d’ « extra points » pour la spéciale télé.

    En 2005, Loeb se blessa à l’épaule, ne participant pas aux 4 derniers rallyes. Son ration de victoire sur cette saison, lorsqu’il fut au départ est alors de 66.66 % !


    Paul Huertas.

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